Du Yukon au salon 🧾

Je pose mon livre sur la vieille caisse de whisky retournĂ©e et m’approche de la fenĂȘtre, attirĂ©e par un bruit Ă©trange au-dehors. Serait-ce le vent qui joue avec les feuilles ?

Mon regard est attirĂ© par la masse sombre des nuages. On dirait que le ciel crie son dĂ©sespoir du monde. Il pleut depuis une Ă©ternitĂ©. Impossible de me remĂ©morer la derniĂšre fois que j’ai vu le soleil briller au-dessus de l’onde
 J’ai beau chercher, essayer de me souvenir, seule la pluie envahit mon esprit, incessante, implacable.

Je ressens soudain la morsure du froid qui embrasse la cabane. Le vent glacĂ© s’insinue dans les interstices des vieilles planches et siffle un air triste. Je vais bientĂŽt manquer de bois. Il faudrait que je sorte fendre quelques bĂ»ches, de quoi tenir jusqu’à l’aube. Fusil sur l’épaule, je me hĂąte ; le vent du Yukon se fout de la misĂ©ricorde.

Ce bruit, encore
 cette fois-ci plus proche, plus menaçant. Un grognement grave et inquiĂ©tant. Le grizzli. Il rĂŽde depuis quelque temps sur la rive, Ă  quelques centaines de pas de lĂ , marquant son territoire. L’autre jour, il s’est approchĂ© Ă  moins de trente pas. Quand Ă©tait-ce, dĂ©jĂ  ? Non, dĂ©cidĂ©ment, je ne me souviens plus. À force de solitude et d'ennui, les jours se sont dissous dans la brume du temps.

Oh ! Ne pensez pas que je m’en plaigne ! Cette vie-lĂ , je l’ai rĂȘvĂ©e, je l’ai voulue. La solitude comme seule compagne. Une vie d’ermite libĂ©rĂ©e de toute contrainte, exempte de toute nĂ©cessitĂ© sociale, de toute convenance. Dans cet isolement brut, je puise une tranquillitĂ© profonde, un lien presque mystique avec le monde sauvage qui m'entoure.

C’est alors que je le vois s’approcher. Il trotte, pataud et maladroit, ses petits yeux d’ourson scrutant tout autour de lui. Je ne saurais dire s’il m’a vu. Sait-il seulement ce qu’est un homme ?

En tout cas, moi, je sais ce qu’est un ours et quoique captivĂ© par son innocence, je reste sur mes gardes. Gare Ă  moi si je me laisse attendrir ! Sa mĂšre est forcĂ©ment quelque part, tapie dans l'ombre, prĂȘte Ă  dĂ©fendre son petit. Instinctivement, j’attrape mon fusil


Soudain, il s’arrĂȘte tout net et semble renifler. Il m’a repĂ©ré  Un vrombissement interrompt brutalement ce moment ; Mini-CEO a dĂ©cidĂ© qu’il voulait jouer avec son circuit de petites voitures Hot Wheels (on en parle de ces jeux du Diable ?).

— Dis Maman, c’est quand l’heure du goĂ»ter ?

L’ourson s’approche alors, suivi de prĂšs par son paternel. Visiblement, c’est son pĂšre qui Ă©tait tapi dans l’ombre
 

— Chou, t’as pas vu le t-shirt bleu que je mets pour courir ?

Eh bien
 Difficile de s’évader plus de 3 pages d’affilĂ©e dans cette maison !

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