Kafka s’en va au souk

Illustration générée par IA

Notre séjour à Marrakech touchant à sa fin, Mini-CEO est à la recherche d’un petit souvenir. Il s’arrête devant une boutique où brillent tout un tas de luminaires ; des lustres monumentaux, des lampes miniatures, des lampes colorées, dorées, argentées, aux motifs ciselés, rondes, carrées, octogonales, allongées… Et des lampes à huile, comme celle qu’il y a dans Aladdin. Des lampes à huile de toutes les tailles qui scintillent dans la lumière du soleil et semblant venues d’un monde enchanteur fait de tapis volants et de palais grandioses ! Les yeux de Mini-CEO s’illuminent tout à coup ; c’est ça qu’il veut ramener. Ça et rien d’autre.

Je sursaute, moi qui fantasmais alors tranquillement sur un lustre en laiton dont la taille est indubitablement plus adaptée à mes rêves qu'à notre modeste demeure. 

— Bah non…

— Mais pourquoi ?

— Mais parce que Aladdin, les Mille et Une Nuits, c’est pas du tout au Maroc ! C’est un conte arabo-perse, tu vois, du côté de la Syrie, le Moyen Orient, tout là-bas ! Rien à voir avec le Maghreb… En plus, dans le conte, Aladdin, il vit en Chine et…

Mais Mini-CEO se fiche bien de ma leçon de géographie. Il hausse les épaules et continue de sourire.

— Mais c’est trop bien !

— Mais non enfin, ce n’est pas trop bien ! Ça n’a pas de sens ! C’est comme si tu allais visiter le Mont Saint-Michel et que tu rapportais une bouteille de Génépi en souvenir…

— Mais…

Mais il s’en fiche bien, lui, du Mont Saint-Michel et du conte arabo-perse ! Il se dit que dans les petites lampes, il doit y avoir un petit génie et un grand génie dans les grandes lampes. Logique ! D’ailleurs, comment ça fait un génie qui sort d’une lampe ? Est-ce qu’il sera aussi drôle que dans le dessin animé de Disney ? Et si c’était un mauvais génie ? Et quels vœux va-t-il faire ? L’intégral des cartes Pokémon ? Savoir jouer de la guitare électrique sans effort ? La paix sur le monde ? Oh, il a hâte ! Déjà il sort ses modestes dirhams.

Je proteste encore et me tourne vers Charmant CEO, à la recherche du sacrosaint soutien paternel. Mais Charmant CEO n’est mentalement pas disponible. Il regarde tendrement un vendeur de pâtisseries qui lui remplit un grand sachet. Toutes ces couleurs, toutes ces formes, toute cette pâte d’amande, ces odeurs de fleur d’oranger, tout ce miel, tout ce sucre ! S’il continue à reluquer cette débauche de glucose, il va finir diabétique. Je le sors de sa rêverie avant qu’il ne décide de plaquer Best partner et leur boîte pour se lancer dans l’import de pâtisseries marocaines.

— Eh oh ! Y a quelqu’un qui m’écoute ou je parle dans le vide, là ? Y a que moi qui trouve que vendre des lampes d’Aladdin à Marrakech c’est complètement kafkaïen ?

Soupir…

— Relax ma gazelle, y a que toi que ça choque.

—  Mais c’est comme si tu venais à Carcassonne pour te faire un welsh ; ça n’a aucun sens !

— C’est pas grave… Tiens, prends une corne de gazelle.

Je déclare forfait.

— Pfff… Choukran mon lion !  

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