De Catherine la Grande à Obi-Wan Kenobi
6 h 32. Impériale dans mes Birkenstok fourrées, je descends les marches telle Catherine II de Russie toisant sa cour depuis l’Escalier de l’Ambassade du Palais d’Hiver.
Sonnez hautbois, résonnez musettes ! Pourquoi l’Hymne à la joie ne résonne-t-il pas dans l’escalier ? Comment ? Parce que Mini-CEO dort encore ! Est-ce vraiment une excuse ?
— Vite ! Mon thé vert à 68°c, mon demi-pamplemousse, ma purée d’amandes ! lancé-je de ma plus royale autorité.
Tout de même ! Je me suis pourtant levée quinze minutes plus tard que Charmant CEO - oui, je sais, je mène une vie d’oisiveté et de débauche - , il devrait logiquement avoir eu le temps de préparer mon petit déjeuner ! Aujourd’hui est une journée spéciale, non ? Je crois que Charmant CEO a besoin d’un petit rappel.
— Eh oh ! Et la journée internationale des droits des femmes ? La lutte acharnée des ouvrières toussa-toussa ? Ça vous parle, Môssieur ? Un peu de respect, quoi ! Pourquoi rien n’est-il prêt en ce jour unique où l’on se doit de rendre hommage au sens du sacrifice de la gent féminine et réaffirmer haut et fort le combat pour l’émancipation ?
Charmant CEO lève un sourcil.
— Elles avaient des Birkenstock fourrées et de la purée d’amandes au petit déjeuner, tes ouvrières ?
Pfff… Voilà que Charmant CEO se prend pour Jean Valjean.
— Non mais l’exploitation de la femme est un phénomène qui transcende toutes les catégories socio-économiques, Môssieur ! Les disparités salariales, l’exploitation sexuelle et le contrôle du corps persistent comme des vestiges tenaces, enracinés dans nos structures sociales et historiques qui sont le creuset de la domination masculine. Ces injustices sont omniprésentes, discriminantes et nous relèguent sans cesse à des rôles subalternes ! Parfaitement Môssieur ! C’est pour cela que le 8 mars est une date importante et d’ailleurs, j’ajouterais que…
— Chou, tu as oublié la Saint Valentin, je te rappelle.
— Pfff… Alors ça, c’est mesquin ! Je vais te dire, Charmant CEOlevitch ! Tu as perdu tes convictions ! Où est donc passé ton sens du collectif ? Enveloppé dans ton petit confort occidental, tu ne vois plus le monde que par le prisme de ton intérêt individuel et égoïste de mâle cisgenre hétérosexuel… Et tout ça à cause de l’oubli d’une fête consumériste qui reproduit un schéma traditionaliste totalement dépassé en ce siècle de décroissance heureuse et… Oh ! Tant pis, tant pis ! Laisse tomber. Mais suis vachement déçue.
Charmant CEO baille et me toise d’un air morne.
D’accord, j’avoue, il œuvre autant qu’il peut à la promotion des femmes au sein de sa boîte. Difficile de lui faire la morale. N’empêche, y a toujours personne pour me servir mon thé vert et mes toasts ! Patron bourgeois, va…
Bon. Puisqu’il va falloir tout faire soi-même, j’empoigne la bouilloire. Après une tasse de thé, je pourrai réfléchir plus avant au carcan masculiniste et oppressif qui régit cette maison. Las ! La bouilloire est vide. Agaçant.
En cette journée internationale des droits des femmes ; « Que la force soit avec moi ! »