Pédale, râle, rigole !
Dimanche, 7 h 00. J’ouvre un volet et observe le ciel. Enfin, disons plutôt que je le cherche. Une épaisse couche de nuages masque la montagne et c’est à peine si l’on voit le lac. Beurk… Pas vraiment envie de me plonger dans la flotte mais bon, je me suis engagée. Hors de question de déclarer forfait et puis, on n’a pas fait ces menus efforts depuis 10 jours pour rien !
J’empoigne mon sac à dos et enfourche mon vélo. Rendez-vous est donné devant l’école à 8 h 00. Ma copine est déjà là. Nous hissons ma bécane dans le Pick-Up. On sangle le tout et hop ! nous filons chercher la troisième.
Déambulation en gros cul américain dans les petites rues du village. Je me marre en regardant conduire ce petit bout de nana qui n’a pas peur de passer là où franchement, moi j’dis, ça va coincer… (la différence entre une optimiste et une pessimiste ?)
La troisième grimpe tandis que son vélo de course rejoint les deux autres à l’arrière du Pick-Up. Impression d’être un gang latino-américain en route pour une expédition punitive. Son mari nous suggère de mettre un bon gros rap à fond pour parfaire le tableau. Rebelles, nous optons pour Nostalgie et nous voilà parties pour une matinée de souffrance délibérément choisie.
Sur le chemin, nous croisons un concurrent sur son beau vélo Bianchi. Je ne sais plus laquelle a suggéré de le pousser sur le bas-côté, histoire d’éliminer un peu la concurrence. Après tout, il est tôt, personne ne s’inquiétera de sa disparition (le fairplay, cette valeur fondamentale)…
Quelques minutes plus tard nous débarquons au milieu de triathlètes du dimanche affutés comme des opinels et équipés comme des cuisines IKEA. Nous descendons les vélos, empoignons nos sacs et rejoignons tant bien que mal le sas de transition.
La pression monte et c’est là que se révèlent les traits de caractère. L’une est hyper zen ; elle le sait, elle va morfler et marcher en crabe demain matin ; autant y aller cool. L’autre garde la tête froide ; organisée, prête, y a plus qu’à ; « attends, on va pas se laisser impressionner quand même ». La dernière, elle, ne sait plus où donner de la tête et a oublié ses tongs. Eh beh… à la guerre comme à la guerre, va pour attendre pieds nus dans le froid et la boue. De toute façon, a-t-on vraiment besoin de 10 orteils ?
--- Attention, vous allez entrer dans une zone féministe un peu facile ---
9 h 50. Los hombres s’élancent sur le triple XS en solo. On les encourage, on les regarde barboter. Ça va… Quand on sait que dans un couple, sauf exception, le temps sportif est principalement dévolu à Monsieur, moi j’dis, on ne va pas leur décerner une médaille non plus, hein !
10 h 00. Vient le tour des femmes ! Et quand on voit ce que c’est que d’arriver à se dégager du temps pour s’entraîner… Bah ouais. Elles, elles méritent des médailles !
--- Attention, vous quittez la zone féministe un peu facile ---
10 h 15. C’est enfin au tour des relais. L’esprit d’équipe se révèle ! On encourage, on dit qu’elle est trop forte, qu’elle va tout déchirer. Elle, elle se dit qu’elle va surtout déchirer sa combinaison (c’est ingrat ce machin ; à 2 kouign amann près, impossible de lever les bras) et angoisse à l’idée d’être à la traîne et de priver les deux autres du temps raisonnablement nécessaire pour boucler les trois épreuves. Pression pression ! C’est que ça pourrait ruiner les échanges matinaux devant l’école, ça ! Non ? Bon, on va tâcher de ne rien lâcher. Ouais… mais si je me gaufre à vélo, c’est fini pour les deux autres ! Faut pas je tombe dans la descente ! Parce que bon, en plus qui s’occupera de Mini-CEO ? Ma conscience me souffle que cet enfant a un père. Ouais… Mais quand même, on va éviter de manger le bitume, ce sera mieux.
La course va partir et je saute dans l’eau : ça va, en fait, elle est chaude. Rectification : l’air est plus froid et mes orteils sont anesthésiés. Forcément, j’ai l’impression d’entrer dans un bain norvégien et… c’est le départ ! Et vas-y que je crawl et que je crawl avec ma combinaison qui m’enserre tellement les bras que je jure d’arrêter les pâtes à la truffe d’été et au parmesan si je fais moins de 15 minutes. J’en double un, deux, trois et même un petit quatrième ! La sortie est en vue, je pose le pied sur les galets et paf ! Je glisse. Ce n’est pas Ursula Andress qui sort de l’eau, encore moins Cassandre Beaugrand. On est plutôt sur du Casimir ou Peppa Pig.
Le plus dur commence alors : désincarcération du corps. Non mais, c’est pas possible ! C’est pas moi, c’est cette fichue combinaison en néoprène qui a rétréci depuis l’année dernière !
Après quelques minutes de galère sous les encouragements des copines, de Mini-CEO et de Charmant-CEO qui viennent d’arriver le bec encore plein de croissant, c’est parti pour 10 kilomètres de petite reine. Je me motive ; je vais en baver jusqu’à l’église de Bluffy mais après, je pourrai raisonnablement considérer que l’épreuve est presque terminée : restera la descente et la course à pied.
Dans la montée, je me maudis d’avoir accepté de participer à cette séance de torture. Je maudis celle qui me dépasse sur son vélo de course ultraléger quand j’use mes cuissots made in beurre salé sur mon VTT. Je maudis l’univers et les fars de Charmant CEO. Je bois un coup et pense aux copines : ne pas leur bouffer du temps ! Alors, arrête de râler et pédale ! Pédale, pédale ! Je jure de tirer une croix sur la pâte feuilletée si je parviens en haut de la côte. Mieux ! Je m’engage à ce que ma vie ne soit plus que carottes Vichy et cabillaud vapeur !
Quelques concurrents me dépassent et m’encouragent ! Sont choux, quand même ! Aussi réconfortant qu’une croziflette.
Enfin j’aperçois l’église. Le calvaire prend fin ! À moi la descente ! Plus que 2 petits kilomètres en courant et je pourrais me prendre un fruit. Non, une crêpe ! Ouais, une crêpe au Nutella… Non ! Des spaghettis à la bolognaise… Ouais… Arrr ! Mais arrête de penser à la bouffe et cours !
Plus que quelques mètres en courant et voilà ! Je passe le relais à ma coéquipière : à son tour de souffrir !
Moi, je vais me prendre un petit verre d’eau.