« Le sommeil, ce pervers narcissique »

Illustration générée par IA

Dans ma prime jeunesse, le sommeil était plus qu’un ami. Je nourrissais pour lui une véritable passion qui - je crois - était réciproque. Parce que c’était lui, parce que c’était moi, quoi

Pendant plus de 30 ans, nous avons mené la Dolce Vita, exception faite d’un petit « coup de canif dans le contrat » comme aurait dit ma grand-mère, par un beau jour d’adolescence. En cause, un film d’horreur mal digéré. Impossible de fermer l’œil 15 nuits durant, ne cessant de penser aux tarés qui peuplent la planète, à celui qui attendait sûrement derrière ma porte que je m’endorme pour m’occire dans un esprit créatif.

Bras dessus, bras dessous, nous avons longtemps mené une vie douce, ponctuée parfois, çà et là, de folles nuits blanches, de prolongations professionnelles pour noctambules parisiens ou de jets lags mal gérés. Oh ! Rien de grave ; quelques mesquineries, de simples bouderies dans une cohabitation au long cours ! Notez, il avait la belle vie, un lit king size et un surmatelas pour s’épanouir. Franchement, on a vu des sommeils moins bien traités !  

Pourtant, un jour, il m’a quitté. Enfin, non, disons, qu’il s’est mué en pervers narcissique, en odieux co***rd, en sale c*n, celui qui va et qui vient, celui qui vous fait espérer en vain. Celui qui sonne quand on ne s’y attend pas alors qu’on a d’autres projets. Oui, voilà ! Un jour, je suis devenue le « plan cul » de mon sommeil.

Quelques semaines avant le début de mon congé maternité, il a décidé de façon très unilatérale que nous formerions désormais un couple libre. Libertaire, je l’ai laissé vivre sa vie, sans trop de rancune ; « Ok, il est 2 h 00 du matin, tu as envie de te faire la malle. Soit. Je ferai avec ». Je me levais alors discrètement, empoignais ma liseuse et dévorais Mauriac, Beauvoir, Londres, Bukowski, Hemingway et bien d’autres, tout en guettant son retour, toujours en fin d’après-midi et l’air un peu coupable.

Puis le divin enfant est né. Et là, mon sommeil, cet adepte des relations intermittentes et discrétionnaires est devenu jaloux. Il faisait le pied de grue, accroché à mes basques, me sollicitant à toute heure, au bureau, en voiture… Trop occupée, je l’ai envoyé se faire voir méchant. Je n’avais pas besoin de lui et réservais dorénavant mes faveurs à la caféine. Un juste retour des choses ! Il n’a que très moyennement apprécié de devenir la cinquième roue du carrosse ; sa vengeance a duré 18 mois. Le déficit de sommeil ; cette forme de torture psychologique infligée aux détenus de Guantanamo

Mais un jour, il a hissé le drapeau blanc. Il a capitulé et a admis que, peut-être, il avait merdé. Beau joueur, il m’a offert un tour de l’horloge qu’aucun pleur n’est venu troubler. Autant vous dire qu’au réveil, ma première réaction fut d’envoyer Cher et tendre vérifier que l’enfant était toujours de ce monde ! Fallait voir nos faces d’andouilles blêmes et ahuries ; « Vas-y toi », « Non ! Toi vas-y ! », « C’est bizarre quand même, il ne s’est pas réveillé de toute la nuit…  Va voir », « Toute façon s’il est mort, y a plus rien à faire, hein, alors… », « Ça va pas, non ! », « Chut, tais-toi, écoute ! ; « Quoi ? », « C’est bon, je l’entends babiller »...  

Hélas, depuis, mon Dieu qu’il a mal vieilli, mon sommeil ! Il a développé une peur de l’abandon qui le rend bête et méchant. Maintenant, cette espèce de petit saligaud joue à « Fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis ».

J’ouvre les yeux à 2 h 54 et rien n’y fait ; ça cogite, sur tout et rien, sur le temps qui passe, sur les choses à faire, les choses à dire, celles que j’aurais dû dire, celles que j’aurais dû faire, celles qu’on ne pourra plus jamais dire, celles qu’on ne pourra plus jamais faire… Une chose est sûre, à 2 h 54, le monde est un purgatoire, la vie, la quintessence de la putréfaction terrestre et j’ai une envie pressante (foutue tisane Nuit calme) !

Mon sommeil, lui, n’est pas loin. Il m’observe et jubile. Notez, toutefois ; c’est un faible qui n’assume pas ses bassesses. Il finit toujours par se sentir un peu piteux et revient sur le coup des 5 h 30.

À moins que je ne me fourvoie complètement et qu’en réalité, il soit juste vicieux… Car lorsque mon réveil sonne 45 minutes plus tard, mon sommeil joue alors les grands amoureux éplorés ; « Non, ne me quitte pas ! », « On était si bien !  Allez reste ! Allez, reste encore un peu » , « Reste ! On s’en fout de l’enfant, du triathlon, de ton boulot ! Viens, soyons fous ! ».   

Si c’est pas une relation toxique, ça… 

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