Leçon de leadership

Le leadership, c’est l’art d’embarquer les autres dans son sillage, de les rallier à sa cause sans jamais hausser le ton. J’en manque farouchement, en particulier sous le toit de notre humble demeure. Sans jamais hausser le ton ? Comprends pas l’concept.

Charmant CEO, en revanche, est un as en la matière. Un maître même ! Peu de personnes savent résister à sa force de conviction teintée de douceur débonnaire tout souriante.

J’en veux pour exemple cette fois où il a réussi à convaincre le gardien du parc municipal fermé pour manque de personnel, d’ouvrir l’espace pour que les petits puissent accéder à l'aire de jeu.

Ou encore ces quelques célibattantes en perte de convictions qui ont pu lui proposer tout de go une prise en charge intégrale de ses lessives façon Mutuelles du Mans Assurances.

Certains y voient du charme, d'autres un talent pour la négociation de proximité.

Et que dire de ces échanges indolores avec la maréchaussée après avoir pris quelques libertés avec le code de la route en conduisant son tricycle ?

Mais arrêtons là les digressions superflues.

S’il en est un qui sait lui tenir la dragée haute, jouer à armes égales et ne jamais céder une once de terrain, c’est bien son double maléfique en culotte courte ; Mini-CEO.

Mini-CEO : un adversaire redoutable, futur timide leader de la génération alpha, spécialiste de l’enfumage de papa et des petits arrangements dans le dos de maman. En voilà un qui ne se laisse pas impressionner par le charisme de son paternel !

Ce soir-là, je m’apprête à sortir pour un bilan mensuel avec mes Drôles de dames autour d’un cocktail au nom exotique quand je les surprends en pleines tractations dans le salon.

Face à face autour de la table basse, Charmant CEO et Mini-CEO se toisent, chacun avec son air déterminé. Ils échangent quelques mots, quelques regards, comme s’il s’agissait d’un rendez-vous au sommet.

—      Poisson ! C’est pas parce que Maman n’est pas là ce soir qu’on doit faire n’importe quoi. 

Mais Mini-CEO, avec toute la force de persuasion d’un stratège aguerri aux plus âpres négociations domestiques, sort son arme secrète :

—      Allez mon papa… une pizza… S’il te plaît… Pour me faire plaisir !

Il a sorti l’artillerie lourde : ses yeux ronds comme des billes, son air angélique.

Charmant CEO, d’abord impassible, esquisse un sourire, mais reste ferme  :

—      Ce n’est pas une question de plaisir, c’est une question de règles, Mini-CEO.  

L’intéressé ne se laisse pas abattre. Il penche la tête, prend une voix encore un peu plus douce, et réplique :

—      Mais tu es tellement le meilleur papa... Et je te vois jamais

« Ouh… Vicieux ! » me dis-je en fermant la porte.

Mini-CEO conclut en déposant un gros bisou sur la joue de son père. Et là, paf ! le coup de grâce. Disons le mot : Charmant CEO est foutu. Il se sent faiblir. Son sens de l’autorité vacille. Il tente une dernière fois de garder la face :

—      Mini-CEO, je… je comprends, mais… tu sais, je vais me faire gronder par ta mère.

C’est ce qu’on appelle l’argument du désespoir.

—      On lui dira pas !

Et voilà ; Game over. Face à cette attaque émotionnelle de haut vol doublée d’un joli pied de nez à l’autorité supérieure, Charmant CEO le sait ; il a perdu. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il a déjà empoigné son téléphone et compose le numéro de la pizzeria pour commander une Régina.

Mini-CEO, fort de sa victoire, bombe son torse de moineau et enfonce le clou, innocent :

—      Tu es le meilleur papa de tout l’Univers !

De retour quelques heures plus tard, je découvre l’ampleur de la défaite : pizza, sirop de grenadine et pop-corn maison. Mes yeux vont et viennent entre la cuisine et Charmant CEO.

—      Je sais, suis faible.  

 —      Tant que tu en as conscience, Charmant CEO. Tant que tu en as conscience…

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Jade n'est pas d'accord.